La Mémoire du poisson rouge : Mythe ou réalité ?

Dans l’imaginaire collectif, le poisson rouge est devenu l’archétype de l’être oublieux, prisonnier d’un éternel présent. On raconte qu’il ne possède qu’une mémoire de trois secondes, une rumeur si tenace qu’elle en devient une métaphore universelle pour l’oubli fugace. Mais qu’en est-il vraiment ? Cette idée repose-t-elle sur une vérité scientifique ou n’est-elle qu’une construction culturelle, un miroir de nos propres interrogations sur la persistance de nos souvenirs ?

Une mémoire plus complexe qu’on ne le pense

L’origine exacte de cette croyance est difficile à cerner, mais elle semble s’enraciner dans une observation presque poétique : celle de ces poissons rouges tournant inlassablement dans leur bocal, comme si chaque révolution était une exploration nouvelle, un premier voyage. Pourtant, ce cliché, aussi charmant soit-il, masque une réalité bien plus fascinante. Contrairement à la croyance populaire qui les cantonne à un présent éphémère de quelques secondes, ces discrets nageurs possèdent des capacités d’apprentissage et de rétention qui forcent l’admiration.

Une étude phare menée à l’université de Plymouth a mis en lumière l’ingéniosité insoupçonnée des poissons rouges, venant balayer le stéréotype d’oubli chronique popularisé par Dory, le célèbre poisson amnésique des films d’animation. À l’opposé de ce personnage fictif, les poissons rouges possèdent une mémoire bien réelle et étonnamment performante. Lors de cette expérience, les chercheurs ont appris à des poissons rouges à actionner un levier pour obtenir de la nourriture à une heure précise, grâce à un conditionnement opérant. Ce qui fascine, c’est que même après plusieurs semaines sans pratiquer, ils se souvenaient de cet apprentissage et reproduisaient le geste avec aisance. Une preuve éclatante que leur mémoire s’étend bien au-delà de l’instantané.

Le cerveau du poisson rouge, bien que simple comparé à celui des mammifères, contient un ensemble de structures capables de stocker et de récupérer des informations. L’hippocampe, une structure centrale pour la mémoire chez l’humain, a un équivalent fonctionnel chez le poisson rouge, appelé le pallium dorsal. Cette structure, bien que rudimentaire, joue un rôle essentiel dans la navigation spatiale et l’apprentissage associatif. Des recherches récentes montrent que les poissons rouges peuvent se souvenir de la configuration de leur environnement, reconnaître des congénères et même ajuster leur comportement en fonction d’expériences passées, démontrant une plasticité cognitive impressionnante. Ces facultés mémorielles complexes redéfinissent notre compréhension de leur intelligence et montrent que leur capacité à apprendre et à retenir est bien supérieure à ce que l’on imaginait.

La philosophie de l’oubli 

Pourquoi, alors, avons-nous besoin de croire que le poisson rouge oublie tout ? Peut-être parce que cette idée nous rassure. Si le poisson rouge ne retient rien, il est à l’abri des remords et des regrets, des fantômes des souvenirs traumatiques. Nous projetons sur cet animal une forme d’idéalisation et de liberté face au poids de la mémoire. Mais en réalité, cette idéalisation soulève une question plus profonde : à quoi sert de se souvenir ?

La mémoire, qu’elle soit humaine ou animale, n’est pas une simple collection d’événements figés dans le temps. C’est un outil à la fois adaptatif et évolutif. Chez le poisson rouge, comme chez nous, elle est sélective. Elle trie l’essentiel de l’accessoire, élimine le superflu pour optimiser son fonctionnement. Mais ce tri a un coût, que perdons-nous lorsque nous choisissons d’oublier ?

Paradoxalement, l’oubli peut être à la fois une perte et un gain. Il est tentant de croire que ce qui est oublié cesse d’exister, mais en réalité, l’oubli agit comme un filtre actif qui permet de façonner notre perception du présent. Sans l’oubli, chaque détail, chaque expérience, s’accumulerait comme un fardeau émotionnel, encombrant notre capacité à prendre des décisions et à avancer. Pourtant, oublier, c’est aussi renoncer à une partie de notre histoire, une fraction de notre identité. Chaque souvenir effacé pourrait contenir une leçon, une émotion ou une connexion perdue à jamais. L’oubli est un compromis subtil entre le besoin de légèreté et celui de continuité.

Cette dynamique de la mémoire et de l’oubli nous interroge sur nos propres luttes internes. Nous nous accrochons à certains souvenirs parce qu’ils définissent notre identité, alors que d’autres glissent dans l’oubli pour nous libérer du poids du passé. Le poisson rouge, par son apparente insouciance mémorielle, reflète une idée que nous chérissons secrètement. celle de la possibilité de recommencer à zéro, de renaître sans le fardeau des expériences passées.

Cependant, les études scientifiques réfutent cette idéalisation : le poisson rouge se souvient, il apprend, il s’adapte. Alors peut-être devrions-nous nous demander : la mémoire est-elle un privilège ou un poids ? Jusqu’à quel point sommes-nous, comme le poisson rouge, capables de transformer le souvenir en moteur d’adaptation plutôt qu’en entrave ?

Ainsi, le poisson rouge devient un modèle inattendu, non pas d’oubli, mais de gestion éclairée de la mémoire. Il nous rappelle que pour avancer, nous devons parfois choisir de nous détacher, non pas pour fuir, mais pour mieux évoluer. Cette leçon, subtile et essentielle, résonne bien au-delà du bocal.

Références:

Gee P. et al. (1994). Temporal discrimination learning of operant feeding in goldfish (Carassius auratus). Journal of the experimental analysis of behavior, 62 (1) : 1-13.

Vail AL, Manica A. (2014). Fish choose appropriately when and with whom to collaborate. Current Biology 24(17):R791-R793

Vail AL, Manica A. (2014). Referential gestures in fish collaborative hunting. Nature Communications 4(1):1765

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